Aujourd’hui un classique sur l’illusion :
La corde et le serpent.
Un jour quelqu’un me disait : «moi je ne prends pas une corde
pour un serpent.» Quelle belle illusion!
Chacun avons nos cordes et nos serpents.
Tout devient tellement plus simple et beau quand la corde est
mise en lumière et aussi moins dangereux quand il s’agit d’un
serpent venimeux.
Entrons maintenant dans la sphère de la vigilance pour mieux comprendre la genèse de l’illusion.
Partons d’une histoire indienne.
Un villageois marche dans la pénombre au milieu d’une forêt.
Devant lui une forme noire sinueuse. Il pense aussitôt :
«un serpent, vite, il faut partir».
Le voici rentré au village où il explique son aventure:
«n’allez pas sur ce chemin, il y a un énorme serpent».
La rumeur se répand bien vite : là bas un serpent !
La rumeur amplifie aussi. Avec le temps, cela donne :
«il y a là bas un monstre de douze mètres de long qui a tué des
dizaines de personnes» !!!
Qui saura l’écouter? Un homme attentif et intelligent aura une prise de
conscience immédiate: «cela n’existe pas, ce n’était qu’une illusion ».
Ouf! Quelle libération! Me voici affranchi de cette peur imaginaire
du serpent. Ce n’était qu’une illusion. Mais les autres peuvent
tout aussi bien ne pas l’entendre de cette oreille et ne pas croire
celui qui vient annoncer cette nouvelle.
La rumeur s’est développée, toute une tradition de l’ignorance s’est
installée qui est au cœur de l’opinion.
Elle tend à se prolonger par inertie.
Une croyance répandue est installée au sujet du serpent.
L’éveil d’un seul n’a pas affranchi tous les autres, les autres hommes
vivent dans les anciennes croyances et continuent d’entretenir les mêmes
illusions.
Lui se dira peut-être : «mais ils sont fous d’entretenir cette illusion»
et il se sentira tout d’un coup très isolé!
Cette allégorie indienne est importante, elle nous conte l’histoire de
l’ignorance et de l’illusion.
Que s’est-il passé ? L’illusion s’est produite au sein de la perception.
L’illusion individuelle se produit quand le sujet de la veille surimpose à
l’objet une forme contenue dans son propre esprit : la corde =perception, le
serpent = image.
Il a vu le serpent là où il n’y avait que la corde. En réalité il a cru voir
mais c’est cette croyance qui a donné lieu à l’expérience.
Une fois la peur engendrée, une vraie peur, elle est à même de se
répliquer indéfiniment.
Le phénomène lui, reste ce qu’il est, il est neutre.
La perception n’est pas trompeuse, elle est ce qu’elle est, elle est
innocente, c’est l’esprit qui se trompe en interprétant la perception
d’une manière très émotionnelle.
Je vois autre chose que ce qui est, il voit ce qu’il veut voir ou ce
qu’il craint de voir. Du coup, il perd tout contrôle émotionnel et se trouve
aussitôt prêt à jurer qu’il a bien raison de croire ce qu’il s’est mis en tête
de croire.
Même si nous sommes dans la vigilance, cela ne signifie pas pour autant que
nous soyons libéré de toute illusion.
Comme la vigilance est aussi déterminée par une conscience d’objet, elle peut
aussi bien se leurrer elle-même en croyant trouver ce qu’elle a projeté.
Comme la vigilance est aussi le lieu de l’expérience en commun du monde, le
lieu dans lequel je suis d’abord perdu dans les autres, je suis aussi
alimenté par une pensée qui n’est pas mienne, par l’opinion collective.
L’opinion contient la suggestion capable de donner naissance à l’illusion.